Des conversations détendues, des chansons populaires à fond des haut-parleurs, une atmosphère joyeuse, le tout dans une mer de tenues uniformes: mes premières impressions de l’endroit où je venais d’arriver ne correspondaient pas aux perceptions que j’avais des prisons. Il s’agissait là de la Journée internationale de la femme, qui se fêtait à la Maison d’arrêt et de correction de Thiès, au Sénégal – une prison pour les détenus hommes et femmes ayant établi un partenariat avec le Projet Prisons de Tostan depuis 2003.
C’est devenu une tradition pour Tostan de célébrer le 8 Mars dans l’une des six prisons sénégalaises qui collaborent avec Tostan. À notre arrivée, nous avons été accueillis par l’administration pénitentiaire et nous nous sommes assis dans la cour, là où, malgré la chaleur, une foule d’environ 250 personnes – les détenus et leurs familles, les visiteurs et les fonctionnaires – s’étaient rassemblés.
Le programme de la matinée comprenait des discours perspicaces prononcés par le maire de Thiès, les détenus, l’administration pénitentiaire, et Molly Melching, la fondatrice et CEO de Tostan. Les intervenants ont abordé les défis et les succès des femmes dans la société sénégalaise et ont également parle du projet Prisons de Tostan. Des représentants de l’ambassade des États-Unis et le FNUAP, partenaire d’exécution de Tostan pour le projet Prisons, a déclaré que: « Le 8 Mars marque la célébration de toutes les femmes, sans exception ». Nos tenues uniformes aux couleurs vives – des pantalons, robes, jupes et t-shirts fabriqués au Sénégal avec des tissus traditionnels – ont illustré cette notion; il était impossible de faire une distinction entre les détenus et les visiteurs. Nos vêtements ont également servi de rappel des droits humains qui sont a la base de l’œuvre de Tostan, en symbolisant que nous sommes égaux et qu’il y a plus de choses qui nous connectent que de choses qui nous séparent.
Entre les discours, un sketch et une performance de rap ont retenu l’attention du public et a abouti à une réflexion profonde tout en faisant rire. Le plus impressionnant pour moi fut la performance d’un poème émouvant écrit par les détenus, faisant l’éloge des femmes et de leurs luttes.
Femme, oh femme!
Une femme est une mère, une grande sœur, une épouse, elle est tout. Une femme est gardienne des trésors de Dieu, elle donne naissance à des saints; elle donne naissance à de bonnes personnes. Elle est celle qui se marie trop jeune, elle est celle qui se lève quand tout le monde dort, le tout pour sauvegarder son honneur.
Une mauvaise journée peut s’annoncer à n’importe quel instant, la plus sombre que vous ayez jamais connu. Vous vous retrouvez face à face avec une tribulation, vos larmes couvrent tout votre être, et vous n’oublierai jamais ce jour. Parfois, c’est quelque chose que vous n’avez même pas fait, et ils vous emmènent en prison. Parfois, votre mari, votre père, votre mère, vos amis, même vos enfants vous tournent le dos, et la douleur est indescriptible.
Nous remercions le FNUAP, l’ambassade des États-Unis, le gouvernement sénégalais, pour leur partenariat avec Tostan, une organisation qui nous élève en public et en privé, qui nous enseigne sur nos capacités en tant qu’êtres humains, nos responsabilités, nos droits, nous enseigne la santé, et le leadership et la gentillesse.
Une fois la célébration officielle terminée, les visiteurs ont été invités à acheter des produits fabriqués par les prisonniers: tels que des sacs à main et des tissus teints à la main. Ces compétences pratiques sont un élément clé du projet Prisons de Tostan et serviront ces femmes longtemps après leur sortie de prison.
En dépit de mes premières impressions positives, les conditions dans les prisons sénégalaises peuvent être difficiles – les installations sanitaires font défaut, les prisonniers sont maltraités Souvent, les prisons sont remplies au-delà de leurs capacités, ce qui entraîne un manque d’attention aux besoins récréatifs et éducatifs des détenus.
Peut-être l’aspect le plus difficile de la vie carcérale est l’ostracisme. Dans un sketch réalisé par les détenus, une femme se lamentait: « Mes parents m’ont abandonné, mes enfants sont partis, mon mari m’a quitté. Je me sens seule ». Bien qu’il ne s’agissait que d’une pièce de théâtre, ce sketch représentait une réalité pour de nombreux détenus. L’exclusion sociale résultant d’une peine de prison au Sénégal empêche souvent aux détenus de se réinsérer dans leurs communautés. Le projet Prisons se penche sur l’aspect social de la vie en prison grâce à une version modifiée du Programme de renforcement des capacités communautaires. Tout d’abord, la majeure partie des femmes détenues sont éduquées en droits humains – ce qui constitue de nouvelles connaissances pour beaucoup de femmes. Ensuite, on leur enseigne des compétences qui peuvent mener à des activités génératrices de revenus; telles que l’élevage de poules et la fabrication du savon. Enfin, le programme joue le rôle de médiateur entre les détenus et leurs familles, facilitant ainsi le retour et la réintégration des détenus dans un environnement non carcéral.
Ma visite à la prison fut une grande opportunité pour moi de voir les résultats du projet de première main. La reconnaissance et la positivité dont faisaient preuve les femmes détenues étaient remarquables et m’ont fait penser aux grandes causes qui sont au cœur de l’œuvre de Tostan.
La journée a pris fin à la sénégalaise: rire, danser et un repas copieux. Je n’oublierai les visages souriants des détenus et les paroles de Molly: « Nous n’allons pas nous en arrêter là ». C’est avec un sentiment d’espoir que je quittai la prison ce jour-là, animé par le long chemin parcouru par le projet Prisons et encouragé par les possibilités à venir.
Par Tilmann Herchenroder, stagiaire
* Le poème a été raccourci pour cet article.