Depuis de nombreuses années, une question récurrente est posée à Tostan : « pourquoi préférez-vous le terme « excision » à celui de « mutilation sexuelle/génitale féminine » ?
Trois termes distincts ont en général été utilisés pour désigner la pratique : « circoncision féminine », « mutilation sexuelle/génitale féminine » et « excision ». Les équivalents en anglais sont « female circumcision », « female genital mutilation » et «female genital cutting ». Nous évitons d’employer le terme « circoncision », dans la mesure où il induit un parallèle incorrect entre l’excision et la circoncision masculine. Malheureusement, tous les autres mots ont également leurs limites, et ne peuvent pas retranscrire exactement ce qu’est la pratique – qui est classifiée en quatre grands types et présente des variations infinies à travers le monde. Aucun terme n’est donc assez « précis ».
Mais nous devons mettre des mots sur la pratique, et Tostan, depuis 15 ans, a fait le choix d’employer celui « d’excision » ou « femal genital cutting » en anglais. Ce choix se fonde sur ce que les communautés qui ont fait le choix d’abandonner nous ont dit de la pratique : le terme excision ne comporte pas de jugement de valeur sous-jacent. En conséquence, il nous semble plus efficace d’utiliser ce terme pour impliquer dans un dialogue les communautés qui pratiquent et à terme, parvenir à l’abandon.
Soyons très clair. Tostan n’a pas fait ce choix pour tenter d’excuser ou de minimiser les effets néfastes de la pratique. Toute personne ayant pris le temps d’en savoir plus sur Tostan et de lire les témoignages de nos partenaires en Afrique saura que nous sommes loin de cacher ou d’excuser les conséquences réelles et significatives de l’excision. En dépit de graves conséquences sur la santé, Tostan a compris que l’excision n’est pas pratiquée par les parents dans l’intention de « mutiler » leurs filles. Bien que cela puisse sembler paradoxal, en perpétuant la pratique, ils veulent avant tout assurer leur avenir dans la communauté, l’excision étant perçue comme une étape indispensable de leur intégration dans le groupe social.
Cela peut sembler contre-intuitif, mais dans notre expérience, si une émotion motive l’excision, c’est l’amour : ne pas faire exciser sa fille, c’est hypothéquer son avenir. Comme nous l’a expliqué Ourèye Sall, une ancienne exciseuse devenue pionnière du mouvement pour l’abandon de l’excision, dans les communautés où l’excision est pratiquée, personne ne mangera la nourriture préparée par une femme non-excisée, n’acceptera de boire l’eau qu’elle aura puisée, ou même ne voudra de s’asseoir à ses côtés. Elle aura aussi des difficultés à se marier. Une femme non excisée est perçue comme « impure » et, pour cette raison, ne peut pas faire totalement partie de sa communauté. Au vu de ces pressions sociales, si une famille choisit de ne pas faire exciser sa fille, elle prend le risque de remettre en cause son statut social. Dénoncer comme une « mutilation » une pratique qui est à l’origine motivée par l’amour et le souci du bien-être est vécu comme injuste par les parents et risque d’entraîner de leur part des réactions de défense qui ne sont pas favorables au dialogue.
Par ailleurs, nous avons constaté que de nombreuses communautés ne comprennent pas complètement les conséquences de la pratique, dont les effets ne sont pas toujours immédiats ou évidents, en particulier dans les cas d’infection, de tétanos etc. Sans connaître la manière dont les germes se transmettent, reconnaître les implications à long terme de l’excision est difficile. Quand les communautés accèdent à ces informations, délivrées par une personne en qui elles ont confiance, elles commencent à comprendre le mal causé par la pratique et décident d’abandonner. Mais si la personne qui délivre ce message émet un jugement de valeur, toute chance de faire changer les attitudes disparaît.
Nous devrions nous souvenir que nous avons tous tendance, quelles que soient nos origines, à percevoir les jugements extérieurs de la même manière. Quand nos croyances ou nos actions sont remises en question ou sont condamnées par des personnes extérieures, nous sommes susceptibles de nous mettre sur la défensive. Plutôt que de prendre leurs préoccupations à cœur, nous prenons leurs accusations comme une attaque injustifiée et déplacée. Nous n’allons certainement pas changer de comportement pour répondre à leur critique ; nous risquons au contraire de nous crisper encore plus sur notre croyance ou maintenir plus fermement notre position. Notre expérience nous a montré que seuls le dialogue et la discussion peuvent mener au changement. Or, le dialogue suppose une relation de confiance et de respect. Désigner la pratique comme une « mutilation » empêche cette relation de s’instaurer et conduit à des réactions de défense plutôt qu’à un échange productif.
Si nous reprenons l’exemple d’Ourèye Sall, qui, d’ancienne exciseuse est devenu avocate pour la défense des droits humains, il devient évident que nous devons éviter de diaboliser celles et ceux qui pratiquent l’excision. Loin d’être une personne mutilante, Ourèye doit être vue comme une héroïne mue par ses nouvelles connaissances. Lorsqu’elle excisait les filles, elle le faisait parce que l’expérience et les connaissances disponibles lui indiquaient que c’était la chose à faire. Quand elle a décidé d’arrêter la pratique et de devenir un leader pour le mouvement d’abandon, Ourèye a pris sa décision parce que de nouvelles expériences et connaissances lui ont montré que la pratique était néfaste et le changement nécessaire. L’expérience nous a montré que c’est le cas pour la plupart des autres exciseuses : elles ne cherchent pas à « mutiler » les filles ou à leur faire du mal. Elles agissent en fonction de ce qu’elles pensent être juste.
Plus important encore, nous devons veiller à ne pas stigmatiser les filles et les femmes qui ont subi la pratique. Nous ne pensons pas qu’il est de notre rôle de leur dire qu’elles ont été « mutilées ». Comme d’autres victimes de violences, nous croyons qu’elles ont le droit à identifier elles-mêmes ce qu’elles ont vécu. Certaines préfèreront se définir comme « mutilées », d’autres comme « coupées » ou d’autres encore en diront moins car elles ne sont pas à l’aise avec le fait de parler de ce sujet intime en public. Mais toutes (mêmes celles qui se définissent comme « mutilées ») sont unanimes : les femmes devraient être libres de choisir le terme qui les définit le mieux. Le mot « mutilée » ne devrait pas être imposé.
En résumé, utiliser le terme “excision” n’est ni pour nous une excuse ni la volonté d’être politiquement correct. Il s’agit d’un principe de réalité : cette manière de parler ouvre les portes du dialogue qui ont conduit des milliers de communautés à abandonner la pratique ; des portes qu’un langage plus accusateur fermerait. Nous avons choisi d’employer des mots qui fonctionnent, qui amènent des changements concrets et véritables.
Conformément à l’approche que nous venons de décrire, cet argumentaire n’est pas une tentative de lutte contre ceux qui utilisent des mots différents. Nous respectons les différences d’opinion sur ce sujet complexe et les différences de langage qui l’accompagne. Nous vous encourageons à en savoir plus sur nos expériences relatives à l’excision mais aussi aux nombreux autres domaines abordés par le programme d’éducation de Tostan. Nous continuerons à soutenir le développement mené par les communautés pour assurer aux filles –excisées ou non – que leur dignité soit préservée. Ces actions sont notre principal objectif et elles ont beaucoup plus de poids que les mots.
Si vous souhaitez en savoir plus sur l’excision en tant que norme sociale, vous pouvez lire l’article « Abandon collectif de l’excision, le début de la fin » du politologue Gerry Mackie. L’article explique pourquoi un programme comme celui de Tostan peut contribuer à déclencher un mouvement d’abandon de la pratique. Le chapitre intitulé « Propagande et interdiction » (pages 17-18 de la version traduite en français) compare les résultats sur les changements sociaux d’une approche basée sur le respect et celle basée sur la culpabilisation.